Prendre des résolutions : bonne ou mauvaise idée?
Par Jeff Vircoe
La nouvelle année peut sembler un moment propice pour demander de l’aide afin de traiter une dépendance. Mais est-ce que cela est voué à l’échec?
Je vais faire plus d’exercice. Je vais lire davantage. Je vais mieux manger. Telles sont les bonnes intentions que l’on entend souvent le 1er janvier, et qui sont rapidement oubliées.
Les statistiques révèlent que la plupart des gens n’atteindront pas leurs objectifs lorsqu’ils prennent des résolutions du Nouvel An. Mais si vous êtes aux prises avec une dépendance, est-ce aussi simple que cela? Pour les personnes qui sont enclines à ruminer et à retourner à d’anciennes habitudes (en d’autres mots, à rechuter), les résolutions du Nouvel An doivent être prises avec précaution.
Bas Verplanken, professeur de psychologie sociale à l’Université de Bath, au Royaume-Uni, l’a dit sans détour à Sarah Knapton, rédactrice scientifique au journal The Telegraph, dans un article intitulé « The science of how to stick to your New Year’s Resolutions in 2022 ».
« Il est très difficile de changer ses habitudes, et même de trouver le bon moment pour le faire », explique le professeur Verplanken. « De nombreuses résolutions sont prises le 31 décembre et tombent à l’eau le 2 janvier. »
Bien que cela puisse paraître un peu extrême, la triste réalité est que de nombreuses études confirment le faible taux de succès que rencontrent les personnes qui prennent des résolutions.
John C. Norcross, professeur et titulaire d’une chaire en psychologie à l’Université de Scranton, étudie depuis plus de 30 ans la science derrière les résolutions du Nouvel An. Ses recherches ont montré que seulement 46 % des résolutions sont encore tenues au bout de six mois. De plus, les personnes qui n’ont pas pris de résolution et qui se sont plutôt fixé un objectif n’atteignent que 8 % de succès après six mois.
Bien sûr, on peut se pencher sur les raisons pour lesquelles les résolutions du Nouvel An échouent si souvent : elles ne sont pas assez précises, elles ne sont pas bien planifiées, elles sont trop ambitieuses. Mais les personnes en rétablissement ne sont pas dans la même situation que tout le monde. Souvent, elles sont enclines à adopter des comportements dangereux et à risque. Échouer n’est donc pas une option souhaitable pour leur rétablissement, et faire quelque chose qui pourrait les conduire à l’échec dès le début de leur parcours est risqué.
« Les résolutions du Nouvel An, c’est non! », s’exclame Michael Hathaway, directeur général du centre de traitement Ledgehill, qui travaille depuis plus de 20 ans avec des personnes aux prises avec des problèmes de dépendance.
Au cours de sa carrière, qui l’a mené dans des centres de la Nouvelle-Écosse à l’Île de Vancouver, Michael Hathaway a pu constater les avantages et les inconvénients de se faire des promesses et de ne pas les tenir.
« Ma position est un peu catégorique, mais les résolutions sont un sujet très délicat, car nous devons tenir compte du raisonnement du client, de ses objectifs et de sa détermination, ce qui est très difficile, explique Michael Hathaway. Nous devons aussi évaluer les répercussions qui découleront si le client ne respecte pas sa résolution. Quel sera l’impact sur son estime de soi et sur sa motivation à poursuivre son rétablissement? »
Qu’il s’agisse de dépendance, de trouble de l’humeur, d’anxiété, de stress post-traumatique, ou dans le cadre de tout autre programme de traitement, prendre des résolutions peut entraîner des problèmes, selon Michael Hathaway.
« Au fil des ans, j’ai constaté qu’il s’agit le plus souvent d’une “mise en scène” inutile et qu’il faut l’éviter dans la mesure du possible. Bien sûr, nous avons tous besoin de nous fixer des objectifs. Mais cela ne doit pas nécessairement coïncider avec le Nouvel An », explique le directeur.
En d’autres mots, se fixer un objectif simplement parce que c’est un moment où les autres le font aussi n’est pas forcément un bon point de départ pour s’engager dans le rétablissement.
Les gens qui ont survécu assez longtemps pour demander de l’aide peuvent parfois penser que leur obstination ou leur détermination inébranlable suffira pour franchir les obstacles et opérer un changement important dans leur vie. C’est peut-être le cas. Mais qu’en est-il lorsque ce ne l’est pas?
Certaines personnes croient que leur volonté est suffisante pour lutter contre toutes sortes de comportements potentiellement problématiques liés à la nourriture, au travail, aux technologies et aux substances psychoactives. Toutefois, lorsque ces personnes regardent autour d’elles, ou même lorsqu’elles examinent leur propre cheminement, elles constatent que bien des gens ne sont pas adéquatement outillés pour affronter ce genre de problèmes, malgré toute la volonté dont ils peuvent faire preuve. Ils ont besoin d’aide. Cependant, puisque les gens essaient de surmonter leur problème sans aide, ils échouent. Cet échec peut miner leur estime de soi et entraîner des conséquences négatives, comme la rechute et le retour aux anciens comportements.
Trevor Sigmundson est en rétablissement à long terme. Il porte un regard sobre sur chaque Nouvel An qu’il a vu défiler depuis 2004. Depuis 2015, il est aussi conseiller en toxicomanie au centre de traitement Edgewood, situé à Nanaimo, en Colombie-Britannique, où il a lui-même été patient. Il n’a pas eu à réfléchir longuement sur le caractère discutable des résolutions.
« Spontanément, je dirais que c’est voué à l’échec et que ça peut mener à adopter un raisonnement de type “tout ou rien”, ce qui est très risqué pour nous, dit-il. Ça va aussi un peu à l’encontre du principe du “un jour à la fois”, qui m’a sauvé la peau plus d’une fois », ajoute-t-il.
Dans les modèles de soins axés sur le rétablissement, les professionnels de la santé comme les thérapeutes et les intervenants et intervenantes en toxicomanie aident les personnes en traitement à développer leurs forces et leurs compétences, à améliorer leur satisfaction par rapport à la vie, et, éventuellement, à diminuer ou à éliminer le besoin de recourir à des comportements malsains pour affronter les défis sur leur parcours.
Maintenant retraité, Sergio Orlando a travaillé comme conseiller en toxicomanie pour EHN Canada pendant plus de 21 ans. L’homme de 75 ans nous fait part de ses réflexions sur les avantages et les inconvénients de prendre des résolutions.
« À la fin du traitement, les clients et les conseillers préparent un plan. C’est le plan de rétablissement. Ça inclut des choses comme des réunions, du parrainage, des groupes d’entraide et de l’exercice. Toutes des choses importantes. Les clients peuvent aussi s’engager à faire quelque chose en particulier, comme aller marcher tous les jours ou s’entraîner au gym. Mais pour ce qui est des résolutions du Nouvel An, c’est une bonne question », indique le retraité.
« Si les clients n’atteignent pas leur objectif, ils vont se sentir coupables. Et la plupart du temps, les résolutions, ça n’aboutit pas. Une personne en rétablissement peut donc ressentir de la culpabilité, puis de la honte. Ça peut être difficile pour elle », ajoute-t-il.
« Mais si leur rétablissement est établi sur une base solide et qu’ils ont accès à un bon soutien, les clients peuvent aisément faire face à ce genre de choses. Ça dépend toutefois de la résolution. Si c’est quelque chose de difficile, comme arrêter de fumer, je conseille souvent aux clients de se donner un peu de temps avant de se lancer. Parfois, lorsqu’on arrête de fumer, on compense en faisant autre chose de manière compulsive », explique Sergio Orlando.
En d’autres mots, on remplace un comportement par un autre.
Si vous désirez prendre une résolution pour la nouvelle année, de nombreuses personnes conseillent d’utiliser la méthode SMART : votre résolution doit être spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporelle. S’engager dans un changement à la légère, sans avoir bien préparé le terrain, est l’une des principales raisons pour lesquelles les résolutions ne sont pas tenues.
Originaire de Caledon en Ontario, Carl N. a suivi un traitement à la clinique Edgewood en 2011. Il a une façon différente de voir les résolutions. Pour lui, il existe une grande différence entre prendre la décision de commencer son rétablissement et prendre une résolution.
« La volonté, ça ne suffit pas, dit-il. Quand j’ai arrêté de fumer, je n’ai pas fait appel à ma volonté. Quand j’ai arrêté de boire, je n’ai pas fait appel à ma volonté. Quand j’ai arrêté la drogue, ce n’était pas de la volonté. C’était une prise de conscience. C’était très clair… C’était le moment de faire un choix : soit tu choisis de vivre, soit tu choisis de mourir. Qu’est-ce que tu choisis? »
« Mais c’était un processus, ajoute-t-il. Il y a toujours un processus. Je n’avais pas fini tant que je n’avais pas vraiment, vraiment fini. J’ai dû ressentir une certaine souffrance avant d’être enfin prêt à changer. »
Alors, lorsqu’il est question de résolutions, Carl n’est pas très favorable à l’idée de s’engager à quelque chose juste parce que les autres le font aussi.
« C’est vraiment difficile d’arrêter quelque chose brusquement comme ça, affirme-t-il. Je crois qu’il est important de se fixer des objectifs. Je crois que si je me donne un objectif, si je veux vraiment faire ce changement, j’ai l’impression qu’il y a une partie de mon ego qui entre en jeu. Je me dis que je dois le faire maintenant. Il y a cette intention. Je sais que c’est mieux pour moi, je veux faire ce changement. Mais, en général, c’est quelque chose de graduel », explique Carl.
« Si je pense à une résolution du Nouvel An pour moi-même, je désire vraiment me libérer de mes désirs. »
Il éclate de rire.
« Vous entendez ça? Je désire me libérer de mes désirs. C’est plutôt contradictoire. »
Ainsi sont les résolutions du Nouvel An.