La dépendance est-elle une maladie?
11 questions posées au Dr Charles Mackay pour mieux comprendre la dépendance.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles du Dr Charles Mackay. Ce contenu est fourni à des fins d’information générale seulement.
Encore beaucoup d’incompréhension et de stigmatisation entourent la dépendance, et ce, même si elle touche de nombreuses personnes au Canada. « Un Canadien sur sept âgé de 15 ans ou plus (environ 3,5 millions de personnes) a des problèmes liés à l’alcool; un sur 20 (environ 1,5 million de personnes) a des problèmes liés au cannabis (…) » [1], selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale.
Nous avons parlé du trouble lié à la consommation avec le Dr Mackay, médecin généraliste ayant 30 ans d’expérience dans le domaine de la dépendance et certifié ASAM et ABAM (liens en anglais seulement). Découvrez ce qu’est la dépendance pour pouvoir vous soigner ou pour contribuer à réduire la stigmatisation.
1- Qu’est-ce que la dépendance ?
On fait une différence entre la dépendance et l’abus de substances seulement pour poser un diagnostic. La dépendance est l’état le plus sévère et un trouble d’abus de substances peut mener à la dépendance. La personne qui souffre de l’une de ces conditions consomme une ou des substances comme la drogue ou l’alcool malgré ses effets négatifs sur sa santé. L’individu va consommer la substance jusqu’à ne plus être en mesure de mener ses activités quotidiennes. Cette condition a une incidence dans toutes les sphères de sa vie et sur sa santé, autant au travail qu’à la maison. L’American Psychiatric Association fait une distinction entre trouble d’utilisation et dépendance dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth edition (DSM-5) (en anglais seulement) qu’il y a dépendance lorsqu’une personne présente entre un et trois symptômes ou plus d’une liste préétablie sur une période de 12 mois. Le trouble est ensuite classé de léger à sévère.
2- La dépendance à l’alcool ou à la drogue est-elle une maladie ?
Depuis maintenant plus de 200 ans, la science soutient que le trouble lié à l’usage de substances est une maladie. Le Dr Magnus Huss fut le premier à le mentionner dans son essai intitulé Alcoholismus Chronicus (Chronic Alcohol Disease) en 1849.
La dépendance présente des symptômes physiques et psychologiques. Ses causes et effets se manifestent chez certaines personnes prédisposées. Les spécialistes de la santé l’analysent de façon systémique, comme tous les autres types de maladies, pour mieux la comprendre et y trouver des traitements efficaces.
L’American Psychiatric Association et l’Organisation mondiale de la Santé confirment que la dépendance est une maladie chronique par définition, car ses symptômes affectent la personne pendant une longue période et évoluent tranquillement.
En 1956, l’American Medical Association déclare publiquement que l’alcoolisme est une maladie. Cette annonce accélère le développement des traitements et diminue la stigmatisation entourant cette condition. Résultat : les individus ayant un problème de consommation ont moins peur d’être jugés et sont plus enclins à demander de l’aide.
3- Pourquoi certaines personnes souffrent-elles de troubles liés à la consommation et d’autres non ?
La dépendance est une maladie hétérogène, c’est-à-dire qu’elle est constituée de plusieurs éléments différents. Une prédisposition biologique n’est généralement pas suffisante pour prédire la dépendance. Celle-ci est très souvent causée par une combinaison de facteurs génétiques et sociaux. Pour cette raison, il n’y a pas qu’une seule cause à la dépendance et au trouble d’abus de substances.
4- Comment la génétique a-t-elle une incidence sur la dépendance ?
L’étude sur les jumeaux (en anglais seulement), un test purement génétique, a démontré qu’une personne dont le père est alcoolique à un risque quatre fois plus élevé de développer un trouble d’abus de substances. Cette étude, réalisée en 1960, a prouvé que la génétique est l’un des facteurs déterminants pour la dépendance à l’alcool. Depuis, plusieurs autres études ont démontré que des caractéristiques spécifiques à l’alcoolisme, comme la sensibilité à l’intoxication et le développement de la tolérance, peuvent être génétiques.
Cependant, le problème n’est pas toujours une question de marqueurs génétiques. Certains des chromosomes d’une personne pourraient présenter des marqueurs sans que celle-ci ne développe de trouble lié à la consommation d’alcool.
Une étude de l’Université de Cambridge publiée en 2014 confirme que l’hérédité est responsable à environ 50 % d’un trouble d’abus de substances, mais que l’environnement social a également une incidence importante.
5- Quels sont les autres facteurs ayant une incidence sur la dépendance ?
L’environnement social, les traumatismes et la comorbidité peuvent aussi causer une dépendance à l’alcool ou aux drogues.
La comorbidité ou les troubles concomitants représentent l’existence, simultanée ou non, d’une dépendance et d’un trouble de santé mentale. Les maladies mentales comme la dépression ou le trouble de personnalité peuvent donc déclencher un problème de consommation.
Un traumatisme psychologique ou physique peut aussi être à l’origine d’une dépendance. Il existe de nombreux types de traumatismes psychologiques : une séparation, la perte d’un emploi, un deuil ou un trouble de stress post-traumatique et encore plus. Un traumatisme physique peut rapidement être doublé d’un traumatisme psychologique. La douleur physique peut entraîner un arrêt de travail et ainsi affecter le moral, les relations sociales et familiales. En général, un traumatisme provoque une dépendance auprès des personnes déjà vulnérables. Cette vulnérabilité n’est pas seulement génétique. Elle peut venir d’une expérience de consommation passée. La personne se rappelle le sentiment apaisant qu’elle avait ressenti et choisit de recommencer à consommer cette même substance pour soulager sa douleur psychologique ou physique. Le traumatisme peut donc causer ou accélérer le cycle de dépendance. On remarque que le trouble de consommation lié à un traumatisme touche plus de femmes que d’hommes.
6- Comment sensibiliser les jeunes aux effets néfastes de la dépendance ?
Oui, la prévention dès un jeune âge et le soutien familial peuvent l’aider à éviter un potentiel trouble lié à l’utilisation de substances ou une dépendance. Une personne sensibilisée aux risques sera généralement en mesure de faire de meilleurs choix, et ce, même si elle présente une prédisposition biologique ou vit un traumatisme. Une intervention des proches ou d’un professionnel de la santé s’avère bénéfique dans la plupart des cas.
La prévention est efficace lorsqu’on donne des informations véridiques. Le discours d’un adulte qui nourrit des mythes comme « tu vas devenir dépendant la première fois que tu vas consommer une drogue » aura l’effet contraire. Le jeune découvrira rapidement que c’est faux et ne fera plus confiance à l’adulte. L’honnêteté maximise le succès des interventions préventives.
Une personne bien renseignée peut plus facilement savoir s’arrêter avant de devenir dépendante. Elle est en mesure de prendre une décision éclairée, car elle connaît les risques et comprend les conséquences liées à l’abus de substances. Elle peut reprendre le contrôle avant que la substance modifie son cerveau.
7- Comment les substances psychoactives affectent-elles le cerveau? Comment le cycle de dépendance s’enclenche-t-il ?
Il y a plusieurs modèles de dépendance (en anglais seulement) et hypothèses pour expliquer comment la dépendance affecte le cerveau. C’est avec la création de neuroimages que nous pouvons observer comment et où agit la substance.
Lorsqu’une personne consomme une substance psychoactive, la dopamine est libérée dans le centre de récompense du cerveau. La dopamine joue un rôle important en ce qui a trait au mouvement, à la motivation et au renforcement des comportements. La consommation de substances psychoactives active également des nerfs qui donnent une satisfaction supplémentaire. La consommation de substances a donc un effet directement sur le cerveau et vient tranquillement modifier ses actions et réactions.
Avec le temps, la neuroadaptation survient, c’est-à-dire que les cellules s’adaptent et un niveau plus élevé de dopamine est nécessaire pour créer le même effet satisfaisant.
8- Les effets des substances psychoactives sur le cerveau sont-ils permanents ?
La neuroadaptation ne se résorbe pas rapidement, même si la personne cesse de consommer. Ces changements sont à très long terme, en règle générale. C’est pour cette raison qu’une personne en rétablissement est toujours plus vulnérable à la rechute. Cependant, chaque individu est différent. Par exemple, une personne peut arrêter de fumer la cigarette du jour au lendemain et ne jamais y repenser alors qu’une autre aura beaucoup de difficulté à le faire. L’identification rapide du problème permet de limiter les changements au cerveau et un traitement efficace, de soigner un trouble de la consommation.
9- Y a-t-il des « types » de problèmes de consommation ?
Les spécialistes de la santé essaient depuis 1850 de classifier la dépendance. Cette tâche est ardue puisque les causes sont moins claires comparativement à d’autres types de maladies comme le diabète. On peut dire qu’un patient souffre de diabète type 1 en cas d’absence totale d’insuline et de type 2 lorsqu’il y a une résistance du corps à l’action de l’insuline. Il n’est pas aussi simple de catégoriser les dépendances. Cependant, il est important de classifier cette maladie afin de pouvoir donner un diagnostic; sans diagnostic, on ne peut pas commencer de traitement.
Elvin Morton Jellinek, biostatisticien, psychologue et chercheur spécialisé des problèmes liés à l’alcoolisme, fut le premier à classifier l’alcoolisme de manière scientifique. Il a développé une théorie complète appuyée par des faits qui confirme que cet état est bel et bien une maladie. Au milieu du 20e siècle, Jellinek mène des recherches et une étude clinique auprès de personnes souffrant d’alcoolisme chronique. Il cherche à établir un pronostic, c’est-à-dire à déterminer comment la maladie évolue dans le temps. Après à cette étude, il crée une charte qu’on appelle la Courbe de Jellinek. Cette courbe fait état de la progression de la maladie, étape par étape, et la classifie par niveaux de sévérité en fonction des symptômes. En 1960, Jellinek découvre que l’alcoolisme n’a pas qu’une seule trajectoire comme il l’avait d’abord déterminé avec sa courbe. Il classifie alors l’alcoolisme sous cinq formes.
La façon de catégoriser la dépendance a évolué depuis, mais elle est grandement inspirée du travail de Jellinek qui a permis de mieux la comprendre afin d’y trouver des traitements efficaces. De nos jours, les spécialistes se basent sur le modèle présenté dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth edition (DSM-5) (en anglais seulement) de l’American Psychiatric Association.
10- Comment peut-on traiter la dépendance ?
La personne doit d’abord se désintoxiquer et être évaluée pour savoir si elle présente un trouble de santé mentale. On favorise un traitement intégré dans le cas de troubles concomitants. Un plan de traitement intégré a de meilleures chances de réussite, car il aborde les deux problèmes à la fois diminuant ainsi le risque que le problème de consommation ait un effet sur le trouble de santé mentale et vice versa.
Les médicaments peuvent être utilisés pour le sevrage. De façon générale, une ou deux doses sont nécessaires pour aider la détoxification. La substitution de la drogue par un médicament est seulement possible dans le cas des opiacés qui présentent un risque de rechute très élevé. À ce jour, il existe seulement quelques approches pharmacologiques avec une réponse thérapeutique modeste pour les troubles de consommation d’alcool.
Parmi les options non médicales complémentaires pour traiter la dépendance, on compte les centres de traitement et les groupes de soutien. Les thérapies basées sur les faits aident à travailler sur soi, reprendre le contrôle et rester sobre dans les moments les plus difficiles. La thérapie comportementale dialectique (TCD) et la thérapie cognitivocomportementale (TCC) en sont des exemples. Cette dernière est un traitement fondé sur les faits et conçu pour aider à contrôler les pensées négatives nuisibles en misant sur les pensées positives.
Plusieurs approches sont possibles. Un plan de traitement doit être personnalisé. Il est donc important que la personne qui souffre d’un trouble de consommation se fasse accompagner par un spécialiste de la santé pour recevoir le traitement adapté à ses besoins.
11- Comment trouver de l’aide pour soigner un trouble d’abus de substances ?
Vous devriez faire plusieurs recherches pour découvrir les types de programmes offerts et s’assurer que le centre de traitement est certifié.
Voici quelques questions importantes à poser :
- Ya-t-il une évaluation médicale initiale pour vous offrir un plan de traitement personnalisé ?
- Y a-t-il des évaluations subséquentes pendant le traitement pour s’assurer qu’il répond toujours à l’évolution de votre condition ?
- Y a-t-il de la surveillance médicale ?
- Les thérapeutes sont-ils accrédités ?
- Y a-t-il un suivi postcure? Un programme de soutien à la famille ?
La dépendance peut avoir de graves conséquences sur votre santé et votre vie. Parlez aux spécialistes de la EHN Nouveau Départ Montréal pour recevoir une évaluation et un traitement adaptés à vos besoins. Appelez-nous au 1 866 970-5651 ou écrivez-nous au [email protected]
Références
1. | Les Préjugés [Internet]. Camh.ca. https://www.camh.ca/fr/info-sante/guides-et-publications/les-prejuges |
Bibliographie
« Alcoholism. » n.d. In Encyclopædia Britannica.
Babor, Thomas F. 1996. « The Classification of Alcoholics: Typology Theories from the 19th Century to the Present. » Alcohol Health and Research World 20 (1): 6–14.
Canada, Santé. 2018. « Stigmatisation Entourant La Consommation de Substances. » Canada.ca. 19 février 2018. https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/dependance-aux-drogues/consommation-problematique-medicaments-ordonnance/opioides/stigmatisation.html.
« How Long Has Addiction Been Classified as A Disease? » 2019. Vertavahealth.Com. 3 octobre 2019. https://vertavahealth.com/blog/how-long-addiction-classified-disease/.
Jellinek, E. M. (1942) Alcohol Addiction and Chronic Alcoholism. Yale University Press, New Haven.
Jellinek, E. M. (1960) The Disease Concept of Alcoholism. Hillhouse, New Brunswick.
Kathy Bettinardi-Angres, MS, RN, APN, CADC, and Daniel H. Angres. n.d. « Understanding the Disease of Addiction. »
Miller, Peter M., ed. 2014. Principles of Addiction: Comprehensive Addictive Behaviors and Disorders. P. 72. Academic Press.
National Institute on Drug Abuse. 2018. “Understanding Drug Use and Addiction DrugFacts.” Drugabuse.Gov. 6 juin 2018. https://www.drugabuse.gov/publications/drugfacts/understanding-drug-use-addiction.
« OMS | Maladies Chroniques. » 2014. https://www.who.int/topics/chronic_diseases/fr/.
Verhulst, B., M. C. Neale, and K. S. Kendler. 2015. « The Heritability of Alcohol Use Disorders: A Meta-Analysis of Twin and Adoption Studies. » Psychological Medicine 45 (5): 1061–72.